#05 : « Le cochon de Vitruve » vs BadPig
À la manière de Léonard de Vinci crobardisant, vers 1490, à l’encre et à la plume, L’Homme de Vitruve (voir reproduction suivante), un trio d’iconoclastes copistes s’est relayé pour accoucher d’un croquignolesque « Cochon de Vitruve » en mode lou badiste ravi [1], gesticulant tel un « chien jaune » déglingué (surnom des opérateurs chargés de guider les pilotes appontant sur un porte-avion !).
BADPIG - Pignan (34) - 2020 - © Etienne Bartomeuf, Sandra Héran et Aurélie Escalle
La miniature, datée de 2020 (voir ci-contre), représente un porcin guilleret, pattes avant et arrière écartées, dans deux positions superposées : une insérée dans un cercle (porcus ad circulum), l’autre dans un carré (porcus ad quadratum). Deux formes géométriques considérées (à la Renaissance) comme relevant de la divine perfection.
Tout comme L’Homme de Vitruve, le Porco Rosso [2] est en mouvement. Il s’agite, gesticule, gigote, se dandine. « Bras » et « Jambes » s ‘élèvent, se resserrent, s’écartent, passant alternativement du carré au cercle, dans une sorte de Jumping Jack frénétique (démo appréciable en cette période de surplace musculaire confiné). Soit l’expression de la vitalité débordante d’un virtuose de la raquette, adepte de jonglerie naturiste !
Car, le cochonou n’est pas un coincé de l’ombilic. Il expose son body avec magnificence, dévoilant sans chichi les rondeurs d’une plastique généreuse.
Deux « erreurs » sont toutefois décelables entre la représentation de L’Homme de Vitruve et celle de son olibrius de cousin (le cochon, bien que souvent mal aimé, est considéré comme le plus proche « compagnon » de l’homme ! [3]). D’une part, le nombril du pourceau a été gommé. Il a disparu du centre du cercle Léonardien (en lien avec la voute céleste, donc avec Dieu). D’autre part (et plus inquiétant), ses tire-bouchonnées génitoires se sont volatilisées (pour rappel, une des particularités des cochons est de posséder un pénis en forme de tire-bouchon). Le carré a perdu son « petit témoin de virilité » (dixit les sages Romains [4]), qui, chez le "Vitruvien", occupe son centre (symboliquement en lien avec la Terre)… à moins que la proéminence du ventre, le bombé onctueux de sa courbe, ce que les « poètes » de la chirurgie esthétique dénomment « tablier abdominal », n’occulte « les régions inférieures » [5].
L'Homme de Vitruve de Léonard De Vinci
Vitruve (Marcos Vitrovius Pollio), Grand architecte romain, né 90 avant J-C, mort en 20 avant J-C, auteur de De architectura
« Ceinture d'Apollon » et « Glouton médiéval »
La comparaison avec le chef d’œuvre de Leonardo semble toutefois s’arrêter-là…
En effet, L’Homme de Vitruve présente une anatomie dite exemplaire et « éblouissante » ! Incarnation de la perfection au masculin (il existe aussi une représentation dite de « La femme de Vitruve », que l’on doit au pape de la bande dessinée érotique : Milo Manara. Mais c’est une autre histoire…).
Sa musculature à la Abercrombie emprunte à la statuaire hellénique, jarret ferme, pectoraux finement ciselés, sangle abdominale taillée en V (dite « ceinture d’Apollon »), pointant vers le « bidule de dieu ». Pas une once de superflu ne dévalue cette nudité écarquillée ! L’opulence est ici strictement musculaire (et capillaire).
Le BadPig, quant à lui, a de toute évidence succombé aux attraits de la bonne chère. C’est un ripailleur, doublé d’un joyeux drille, aimant, sans nul doute, bambocher jusqu’à point d’heure !
D’un côté un Apollon, parangon de la beauté physique, divinement proportionné et, de l’autre, donc, un porcelet au ventre amoureusement arrondi. Anatomie massive et rondelette. Soit la figure du « glouton médiéval », symbole de santé et de générosité, associant corpulence, force et agilité, à l’instar de l’Ours, signe de grandeur royale. Et, effectivement, il y a du Baloo Baloo dans le BadPig, de l’ursidé sympathique chez ce Porcinus rebondi qui, gaillardement, se dresse haut sur ses pattes arrières, monstration de pesanteur, de massivité et d'habileté !
Du « Polyathlète » au « Franc digestif »
À s’en référer à l’acuité, souvent tarabiscotée, des typologistes du début du XXème siècle, la morphologie du number one correspondrait au biotype du « polyathlète » (Martiny, 1948), campé par le Doryphore de Polyclète (statue datant de 400 avant JC), antique version du décathlonien contemporain !
Tandis que le modelé abdominal du second, sa tendance au « ventre ptosique » (soit en chute libre) [6], le rapprocherait du « mésoblastique accentué », un trapu à la résistante constitution, voire du « mégalosplanchnique » de l’italien G. Viola (1933), plus surement du « désanglé du ventre » (de Louis Chauvois, 1925) ou du « boursouflé » décrit par Georges Hébert dans son Code de la force (1911).
Toutefois, à bien y regarder, et après « soupesage » pifométrique des corpulences, le BadPig relèverait plutôt du morphotype du « Franc Digestif », de « l’athlète de force » repéré, en 1924, par le Dr. A. Thooris : Hercule de foire ou « sportif de l’athlétisme pesant » (lanceur de poids, haltérophile, lutteur et aujourd’hui Sumo ?). De forme globalement trapézoïde, le « Franc digestif » se caractérise par une prédominance de l’étage inférieur, par sa masse et… la « puissance des mandibules » !
Enfin, l’athlète de De Vinci apparaît comme figé, piégé qu’il est dans son apparat musculaire. Il semble faire la gueule et a tout l’air d’être un sacré constipé. Ce n’est pas un guignol ! Tout le contraire de l’animal totémique des BadPig qui, lui, rayonne ! Est un rigolo solaire, un fêtard, un jouisseur. À l’image d’un club qui place la convivialité, la bidonne, le partage et les apéros en valeurs cardinales !
Car, il ne faut être ni un gringalet du bide, ni un essoufflé du gosier, encore moins un pisse-froid, pour supporter le régime des Badpig, tel qu’énoncé par son Président (Savinien Ferran), dans une interview accordée, en octobre 2019, au Journal des Héraults : être capable d’ingurgiter « beaucoup de levure liquide aux céréales et [de] se nourrir exclusivement de saucisson et de chips, [et aussi] avoir de l’humour pour l’intégration au groupe ».
Devise de la horde d’anthropophages rigolards : « Dans le Pignanais tout est bon, gruik gruik !! ».
Ultime mise en garde tout de même, à l’attention du chef de harde : se méfier du cochon vagabond, du porc franc-tireur ! L’un de ces errants, un porc gyrovague (un solitaire en maraude), un porcus diabolicus, n’a-t-il pas causé en 1131 la mort de Philippe, fils aîné et « roi désigné » de Louis VI, dit… « Le Gros » ! [7]
Pour aller (un peu) plus loin, en rétropédalant dans le passé :
- Georges Hébert, Le Code de la force. La force physique, ses éléments constitutifs et sa mesure pratique, Paris, L. Laveur, 1911.
- Louis Chauvois, Les Dessanglés du ventre. Maladies par relâchement des parois et organes abdominaux, Paris, Maloine, 1923.
- M. Martiny, Essai de Biotypologie humaine, Paris, J. Peyronnet, Éditeurs, 1948 (notamment le chapitre XII : « Les Applications de la Biotypologie à l’Éducation physique et aux Sports », p. 414-431).
- Dr A. Thooris, La Vie par le Stade, Paris, Librairie Scientifique Amédée Legrand, 1924.
[1] Le Ravi de la crèche (encore appelé « lou ravi de la crèche » par les méditerranéens) est le santon qui lève les bras au ciel, en signe d’émerveillement, de ravissement, devant le miracle de la naissance de l’enfant Jésus. C’est un « fada » (littéralement « touché par les fées »), à la joie « démonstrative et communicative », un homme bon et accueillant ,un gentil ! À ne surtout pas confondre avec « l’idiot du village », un benêt ou un bêta, représentations totalement erronées de ce personnage au cœur pur !
[2] Film d’animation japonais réalisé en 1992 par Hayao Miyazaki !
[3] On consultera avec bonheur, l’ouvrage abondamment illustré de de Michel Pastoureau, Le Cochon. Histoire d’un cousin mal-aimé, Gallimard, collection « Découverte », 2009.
[4]Cf. Tom Hickman, Le Bidule de Dieu.Une histoire du pénis, Paris, Robert Laffon, 2013.
[4]Cf. Tom Hickman, Le Bidule de Dieu.Une histoire du pénis, Paris, Robert Laffon, 2013.
[5] Cf. Georges Vigarello, Les Métamorphoses du gras. Histoire de l’obésité, Paris, Éditions du Seuil, 2010, p. 284.
[6] La ptôse (du grec ptôsis : chute) définit pathologiquement une « descente, une chute d’un organe, par relâchement de ses éléments musulo-ligamentaires de soutien. La Ptôse généralisée étant la chute, descente de tous les organes abdominaux » ! (selon Le Grand Larousse Encyclopédique de 1963, en 12 volumes).
[7] Un porc affolé, déambulant dans les rues de Paris (à l’époque chose courante), avait fait cabrer le cheval du jeune Prince qui avait terminé écrasé sous sa monture… Cf. Michel Pastoureau, Le Roi tué par un cochon. Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France, Paris, Seuil, 2015.
[7] Un porc affolé, déambulant dans les rues de Paris (à l’époque chose courante), avait fait cabrer le cheval du jeune Prince qui avait terminé écrasé sous sa monture… Cf. Michel Pastoureau, Le Roi tué par un cochon. Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France, Paris, Seuil, 2015.