Telle la « fort belle » et innocente Périgone (ou Périgounê), fille du brigand Sinis (un antique serial killer grec qui sévissait dans l’isthme de Corinthe), une jeune badiste, lancée à la poursuite d’un volant-papillon, jaillit d’une forêt d’asperges, sous le regard réjoui d’un Thésée !
Pour comprendre, le pourquoi de cette allégorie, il faut d’abord savoir que Village-Neuf (situé en Haute-Alsace) est le QG de la «
Confrérie de l’Asperge » (blanche). Une guilde de fins gourmets qui depuis sa création, en 1986, unit les
Grands Aspergiers de la région des 3 Frontières.
Une fois cette connaissance préliminaire acquise, il faut se plonger dans la mythologie grecque ! S’intéresser au parcours de justicier de Thésée qui chemin faisant, en se rendant à Athènes et sans doute en guise d’échauffement, avant d’aller occire le Minotaure planqué dans le labyrinthe de Dédale, débarrassa la contrée de deux abominables psychopathes. Il commença par rectifier le sadique Procuste, puis brisa l’échine de son fils adoptif, le géant et déjanté Sinis, surnommé Pytocamptès : Courbe-pins ou « Celui qui courbe les pins »… !
Il faut dire que, le premier, l’aubergiste Procuste, s’était spécialisé dans l’« égalisation » des corps, dans leur ajustement à une identique longueur, leur mise en conformité à une norme, celle d’un lit en fer où il allongeait ses victimes avant de les ramener à de « justes proportions », soit en les raccourcissant « par d’horribles mutilations », soit en les étendant « par des tiraillements plus affreux encore » [1]… Le Mythe de Procuste est une utopie égalitariste totalitaire ! [2] Thésée le lui fit artisanalement et succinctement comprendre en le raccourcissant, en commençant par l'étêter !
Quant à Sinis, son fils, le « ployeur de pins », de toute évidence élevé à mauvaise école, « il dépouillait les voyageurs, puis les écartelaient en les attachant à la cime de deux pins, qu’il courbait l’un contre l’autre et qu’il laissait ensuite se redresser » ! [3] Propulsées dans les airs, les parties des corps démembrés « volplanaient » et s’écrabouillaient de-ci de-là… Thésée le gratifia d'un tel écartèlement, et lui fit goutter aux joies d'une propulsion aérienne, en mode éparpillement des abatis !
Selon Plutarque, la « très belle [...] grande » et ingénue Périgone [4], qui assistait, terrifiée, au catapultage de son père Sinis par Thésée (Thésée aimait bien châtier en appliquant la peine du Talion - « œil pour œil, dent pour dent ! », démembrement pour démembrement), « s'enfuit quand elle vit son père occis » de la sorte [5]. Toujours selon une traduction de Plutarque datée de 1801, elle se jeta « dedans un boscaige [bosquet], où il y avait force rouche [ronces des marais], et force asperges saulvages, qu'elle prioit fort simplement, en enfant, comme s'ilz eussent eu sens de l'entendre, leur promettant avec serment, que s'ilz la cachoient et couvroient si bien qu'elle ne peust estre trouvée, jamais elle ne les coupperoit, ny ne les brusleroit ».
Mais, comme finalement Thésée était plutôt beau gosse et beau parleur, elle ne résista pas à son baratin, sorti du bosquet rempli d'épines et d'asperges, et spontanément s’offrit à lui... [6], la récompense du vainqueur, en somme ?
Pour le psychanalyste Jean Ménéchal, elle fut « séduite sans violence par le héros, tombant sous le charme de sa force et de sa conviction, [héros conquérant qui] la troussa allègrement dans les asperges sauvages ». L’acte révélant, au passage, la composante perverse de l’immoralité de Thésée qui venait tout juste de trucider son père, certes un abominable, mais son paternel tout de même.
Périgone (du grec péri, autour et de gonê, organes sexuels), en inaugurant la longue liste des conquêtes féminines de Thésée (qui d'ailleurs la donna illico en mariage à Deïonée, fils d'Éole - le dieu des courants d'air !), fait ici figure de délassement post-victoire et de « repos du guerrier »… [7].
En tout les cas, de cette impulsive union naquit un fils, Mélanippos, dont les descendants (les Ioxides) firent « preuve d’une grand dévotion pour les asperges », ne brûlant ni leurs buissons, ni ceux d’épines, mais les honorant et les vénérant quasi religieusement ! [8]
Le culte de l’asperge (blanche) était né !
Notes :
[1] Cf. Dictionnaire de La Conversation et de la Lecture, article « Procruste ou Procuste (celui qui met à la torture) », 1838, p. 270.
[2] Voir de Catherine Mondiet-Colle et Michel Colle, Le Mythe de Procuste. La taille humaine entre norme et fantasme, Paris, Seuil, 1989.
[3] Grand Larousse Encyclopédique, tome 9, 1964, p. 844 (article « SINIS »).
[4] Et pas Perséphone, comme l’écrivent André Paul Weber et le Grand conseil de la Confrérie de l’Asperge, dans Autour de l’Asperge, publié eux Éditions Ronald Hirlé, en 1995, p. 9. Perséphone étant la fille de Zeus et de Déméter…
[5] Plutarque, Les Vies des hommes illustres, Traduit du Grec par Amyot (Grand-Aumônier des France, Nouvelle édition, Tome premier, Paris, 1801, p. 14. Disponible en ligne Ici.
Voir également, Plutarque, Les Vies des Hommes Illustres, traduit par Dominique Ricard, 1829, Tome 1, Paris, Bureau des Éditeurs, p. 99.
[6] « Theseus l'appella, et luy jura sa foy, qu'il la traitteroit bien, et ne luy feroit mal ne desplaisir quelconque : sur laquelle promesse elle sortit du buisson, et coucha avecques luy. » Cf. Plutarque, op. cit., p. 15.
En ancien français, cela donne « Thésée l'appelloit, & lui donnoit sa parole qu'il auroit soin d'elle, & qu'il ne lui feroit aucun déplaisir. Périgone, touchée de ses promesses, sortit du milieu de ses broussailles, & et alla se rendre à lui. » In Fr. Sabbathier, Dictionnaire pour l'Intelligence des Auteurs Classiques, Grecs et Latins, tant sacrés que profanes [...], tome 33, 1787, p. 68 (article « PÉRIGONE, ou Périgune »).
[7] Cf. Jean Ménéchal, Psychanalyse et Politique. Le complexe de Thésée, Toulouse, Éditions Érès, 2012.
[8] Cf. Yves D. Papin, Connaître les personnages de la mythologie, Editions Jean-Paul Gisserot, p. 214-215.
À lire aussi (téléchargeable sur le Net) : Geneviève Cornet, « Les aventures de Thésée lors de son voyage de Trézène à Athènes. Transfiguration d'un jeune aventurier en héros national », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, 2000, (n°1), pp. 28-43.