L’avancée d’une Wonder Badiste ratiboisant tout sur son passage, pour annoncer la 1ère édition d’un Tournoi de la Jupe, donc a priori exclusivement ouvert aux filles. Une dénomination qui fait écho au « Printemps de la jupe et du respect », événement organisé en 2006 par l’Association Rennaise Liberté couleurs pour dénoncer les discriminations dont les femmes sont l’objet et sensibiliser les 12-25 ans à l’égalité des sexes.
La Bad Girl, qui s’affiche toute en jambes et en légère contre-plongée, a l’allure d’une gladiatrice avançant sereinement, presque flegmatiquement, dans sa tenue de combattante. Non pas une simple jupette mais une jupe « technique », toute en légèreté, garantissant une liberté de mouvement, tout en affirmant une féminité conquérante.
L’étoffe ultra-courte, un peu flottante, n’est pas ici rehaussée d’escarpins à talons hauts qui galberaient et allongeraient les gambettes. C’est une guerrière, aux mollets denses et fermes, bien ronds, équipée de solides baskets, adaptés à l’effort sportif, qui trace sa route dans un espace habituellement majoritairement investi par les hommes.
En cheffe de file, en pionnière résolue, elle ouvre une voie, déboise et invite ses sœurs à lui emboiter le pas. Suivez-moi les filles, ce tournoi nous est « réservé » (comme proclamé en en-tête du poster) ! Et gare aux malotrus qui s’aviseraient de regarder sous la jupette. Les éventuels adeptes du upskirting [1]risquent fort de se prendre un revers dans les gencives ! Car cette guerrière, cette « Guerrilla Girl », a de toute évidence un sacré répondant ! Elle s’engage dans l’arène sportive, s’y ouvre un chemin, en faisant le ménage sur son passage. La piétaille s’est fait massacrer, étriller, piétiner ! Elle a été taillée en plumes, déchiquetée. Le sillage de miss brise-tout est jonché des restes des impudent-e-s qui ont vainement tenté de stopper sa progression. « Empêche-moi ! ».
Imperturbable, elle va de l’avant avec l’assurance de l’héroïne happée par son destin, aimantée par l’affrontement Final !
L’appui droit, posé bien à plat, écrase le sol. Lourd de détermination, Il marque durablement le Taraflex du sceau de la Reine des courts. La démarche lente, tranquille, presque décontractée, est celle d’un Maximus (le héros du péplum Gladiator, 2000), d'une championne, certes fatiguée par l’enchaînement des duels, mais qui se dirige sans se défiler vers sa nouvelle adversaire.
Les doigts, relâchés, sont positionnés pour le duel. Ils enveloppent le « pommeau du glaive » dont la pointe (la « tête de raquette »), légèrement relevée, indique que notre héroïne est prête pour en découdre, faire valoir ses droits, au nom de toutes les filles !
À vos jupes camarades !
La jupe, caverne à fantasmes (masculins), est objet d’attentions, de scrutations pointilleuses, d’injonctions, de suspicions diabolisantes. Des institutions, des entreprises, l’imposent, l’étalonnent (le genou faisant office de jauge), en dictent la forme, le style, la manière de la porter, tandis que d’autres la proscrivent ou tout au moins la déconseillent. Certaines boîtes qui, il y a peu, l’exigeaient désormais la recommandent fortement comme marqueur de genre (polytechnique), ou pour séduire la clientèle (hôtesses). Tandis qu’en des espaces urbains, où sévissent des apeurés de la « féminitude » (Simone de Beauvoir), des gynophobes la fustigent, la jugeant provocatrice, indécente, voire blasphématoire, dès qu’elle sexualise le corps de la femme, laisse entrevoir des nudités sacrilèges.
Aussi, comme l’analyse la sociologue Christine Bard [2], dans certaines quartiers, « infestés par une idéologie machiste », porter la jupe est devenu « un acte militant », un acte de résistance et d’insoumission au diktat vestimentaire de cités, où, pour éviter l’opprobre, ne pas être importunées et cataloguées comme des « filles faciles », des allumeuses, les filles sont contraintes de mettre en sourdine leur féminité, de la gommer.
Les vêtements ne doivent surtout pas coller au corps, épouser, sublimer les chairs. Ils doivent rester vagues, amples, et banaliser le paraître jusqu’à l’inaperçu, invisibiliser le féminin, vider son anatomie de toute charge érotique. Celles qui « osent s’habiller en fille », se maquiller, sont vues comme des « bouffonnes », des « victimes » et (mal)traitées comme telles. La jupe ultracourte ne peut-être portée que par une fille facile, une « pute », ou une bimbo (c’est la « jupe-rien-dans-la-tête»). Jugée trop sexy, elle en vient à être considérée comme un « signal de disponibilité sexuelle ».
En réaction à cette stigmatisation, la jupe (la mini-jupe, en Tunisie) [3] est devenue étendard de la cause féministe. Le slogan « Oser la jupe » s’est imposé pour bousculer, interpeller et dénoncer les stéréotypes dépréciatifs, agressifs et insultants. En assumant leur féminité, les filles en jupe revendiquent « un droit à la féminité », et le droit de s’habiller comme elles l’entendent.
Soit le retournement d’un cliché. La jupe n’est plus « forcément le signe d’une soumission à un ordre masculin ». Mettre une jupe, a fortiori une jupette, est devenu un marqueur d’appartenance, le symbole d’un engagement, d’une lutte contre les discriminations, le harcèlement et les violences faites aux femmes. La jupe a remplacé, sur le terrain de l’insoumission, le port du pantalon [4], longtemps chargé d’une « force subversive » (pour rappel, jusqu’en 1968, son port était interdit aux filles dans l’institution scolaire. Il n’y était toléré qu’en cas de grand froid, à la condition qu’il soit porté sous… une jupe !).
En se raccourcissant, en se faisant bout de tissus, la jupe est devenue le symbole de la femme libérée, sûre d’elle et émancipée, de « l’emmerdeuse ». À moins… qu’elle ne soit imposée par une gouvernance, une phallocratie, rétrograde, une instance misogyne et patriarcale, utilisant le corps de la femme, le surlignage de ses contours et atours, comme une attractivité à but commercial.
À l’instar de la Fédération Internationale de Badminton qui en 2011 avait tenté de rendre obligatoire le port de la jupe en compétition, avant de rétropédaler (de « rebrousser jupette ») devant le refus de plusieurs fédérations (Inde, Chine, Indonésie, Malaisie, principalement). Le piteux et pathétique argument alors avancé, pour sa défense, par la BWF, consista à dire que c’était dans un souci de « style et d’esthétique », avec comme intention déclarée d’attirer plus de spectateurs. Son vice-président, Paisan Rangsikitpho, expliquant que la BWF n’avait jamais eu comme « intention de présenter les femmes comme des objets sexuels », mais obéissait à un « besoin de pouvoir différencier le jeu des femmes »… Sans doute car, en mixte, il est désormais parfois bien difficile, à très haut niveau, de distinguer sexe « fort » et sexe « faible »...
Car, si des clubs ou des fédérations sportives imposent le port de la jupette, c’est avant tout pour des intérêts « économico-sexy ». Ce sont des raisons commerciales qui ont ainsi guidé le club de hand-ball de Metz qui, en 2011, a imposé le port de la jupette aux « Dragonnes Messines », afin de « mettre le glamour et la femme à l’honneur ». En fait, l’objectif, pour les dirigeants de ce club, rapidement baptisé « le club à la jupette », était de réaliser un coup médiatique, d’attirer public (en augmentation de 30% !) et sponsors (la jupe devenant l’emplacement où apposer son logo le plus cher de la tenue) [5].
À quand des mâles badistes en jupettes ? Et pas que pour faire les mariolles, à la suite d’un pari (perdu) ou d’une Bad Party carnavalesque…
[1] Le upskirting trouve son origine dans une forme d’érotisme et de pornographie baptisée « upskirt » (« sous la jupe en argot anglais ») qui existe depuis l’apparition de la minijupe. L’activité, consistant à regarder sous les jupes des filles, est pratiquée le plus souvent à l’aide d’une perche à selfie et par les plus équipés d’une « Molka » (caméra d’espionnage vendue en Corée du Sud et utilisée pour filmer les femmes à leur insu).
Un « jeu de dupe » (Alain Souchon, 1993) qui est en passe de devenir un délit. Cette pratique de voyeurisme, baptisée « délit de captation d’images impudiques » (par la législation française) porte (sauf consentement de l’intéressé.e) « atteinte à l’intimité de la vie privé d’autrui » (et commence à être passible d’amende et de prison dans plusieurs pays).
[2] Cf. Christine Bard, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, le Seuil, 2012 (notamment p.102 et 168).
[3] Le 6 juin est « journée mondiale de la mini-jupe », depuis qu’en 2015, deux activistes tunisiennes ont appelé à manifester en « signe de solidarité avec les femmes opprimées » (suite à l’interdiction d’examen d’une algérienne pour cause de jupe jugée trop courte).
[4] Voir toujours de Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, Paris, Seuil, 2010.
[5] Se reporter à l'ouvrage de Béatrice Barbusse, Du Sexisme dans le sport, Paris, Onamos, 2016, « La question de la jupette », pp.140-147.