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    Ce n’est plus un grand écart entre deux générations éjectées aux antipodes (comme dans la précédente affiche présentée), entre un enthousiaste morveux (un Tétine Man) tout juste éclos et un apathique vétéran (un Papy Moustache) en voie d'épuisement. Mais un rapprochement, avec passage de raquette, entre un benjamin et son jeune vétéran de père.
    L’écart générationnel s’est resserré et devient crédible.

 

ASSJ Bad - Saint-Junien (87) - 2016 - © Sébastien Roger

 

Tel père, tel fils (Talis pater, qualis filius)

     On a ici à faire à un duo des familles. Un fiston et son papa, unis par une commune passion.
    Il y a de la ressemblance héréditaire, de la lignée, dans ce portrait familial incrusté dans deux médaillons. D'évidence, ce n’est pas le fils du facteur !
    Comme papa, fiston porte déjà des lunettes. Pas des lunettes de miro, mais plutôt d’intello rigolo, celles du bon élève qui « performe » aussi en bad, avec un brin de fantaisie. Ce sont presque des lunettes de pitre [1] mais sans tomber dans l’excentricité ou la loufoquerie (on a connu un élève plus farfelu qui avait un verre rond et l’autre rectangulaire…). Des lunettes à la Harry Poter, oversize (surdimensionnées), celles d’un petit futé, pas rétif à l’aventure.
    Des lunettes phares dans les années 1960-70, aujourd'hui revenues à la mode !
    Tout comme celles de papa ! Car si les lunettes du pater se sont quelque peu assagies, devenant celles d’un adulte plus sérieux, elles ne sont pas tombées dans un classicisme sans âme. Leur look emprunte à la forme Wayfarer, ces lunettes de soleil créées en 1952 par Rayban pour pilotes de l’aéronavale américaine et coureurs automobiles. Des lunettes de « voyageurs » (de wayfarers), de baroudeurs, très tendance dans les années sixties (portées notamment par Bob Dylan, Ray Charles ou encore Lou Reed). Elles connaîtront ensuite un regain de popularité dans les années 80 (grâce à Tom Cruise, Jack Nicholson et Mickael Jackson), puis un second rebond à partir de 2000 avec le retour du vintage.
    Père et fils travaillent et affirment leur style, avec des touches d’originalité !
    Ni l’un ni l’autre ne risquent de passer inaperçu.
    Le père que l’on imagine bien, dans le civil, en costard cravate, arbore une moustache dite en guidon (de vélo). Une parure déjà présente sur la précédente affiche, mais ici bien plus conquérante et travaillée, sculptée avec une cire ad hoc pour bien enrouler et fixer les pointes. Un raffinement de gentleman (so british), un marqueur affirmé de virilité et un élément de séduction, manière de se démarquer de la gent masculine. Ce sont des « moustaches de conquête et de pouvoir ».
     Sur les terrains, Papa-champion se les friserait-il aussi ? À moins qu'il ne porte cette moustache fièrement pour, à l'appel de l'organisation Movember, lutter contre le cancer de la prostate... (voir ci-dessous l'affiche de cet évènement de 2014).
 

Montre-moi ta moustache - 2014 - Collecte de dons pour la fondation Movember
Action
« Laissez-vous pousser la moustache » pour lutter contre le cancer de la prostate

 

Tu seras badiste mon fils !

    Le père devient accompagnateur, superviseur, mentor et coach (ou tout au moins supporter) ! C’est un père qui fait le job.
    L’affiche invite ainsi à un week-end sportif père-fils, à une virée entre hommes dans la « maison-des-hommes » [2]. Le sport se déploie, en effet, dans des espaces souvent fortement « testostéronés », où se partagent et s'incorporent des valeurs viriles [3]. Et même si les filles ont désormais aussi leur mot à y dire, cet univers est historiquement et cultuellement « homosexué » [4]. Gymnases et stades sont des lieux de fabrication du mâle sportif. Un calibrage qui passe notamment par l’adhésion à des valeurs dévolues au masculin. En s’identifiant à des héros (dont parfois à papa), l’aspirant champion se construit en acceptant, intégrant et se soumettant aux règles qui régissent le monde des hommes sportifs. De ce point de vue, le sport peut être appréhendé comme un rite de passage, comme une porte d'« entrée dans la vie » d’adulte-mâle (pour reprendre une expression de Georges Lapassade [5]).
    Tout en gardant son fiston, sa fierté, sous bienveillance, le père, placé en position surplombante, conserve son statut d’adulte, quand bien même le champion en herbe serait capable de lui mettre la pâtée  [6].
    Car papa, outre sa virile moustache, possède aussi une pipe, objet fortement genré et sexué.
    Le fumeur de pipe est souvent associé à un « cérébral posé », un intellectuel (dont le cerveau, lui aussi, fume). Les grands détectives (tel Sherlock Holmes ) ne dénouent-ils pas les énigmes les plus ardues en tirant posément sur cet instrument, leurs pensées s'échappant en volutes ?
    La pipe est aussi un objet très intime, presque sacralisé (un objet que l’on ne prête pas et que l’on bichonne). C’est un objet phallique ! Le père possède donc bien le phallus ! Même si c’est un phallus de vétéran, certes expérimenté mais aussi apaisé [7].


Pipeautages fumeux !

La Trahison des images, René Magritte
1929, huile sur toile, 62.2 x 81cm
Los Angeles County Museum of art
ADAGP Tous droits.
Extrait de l'ouvrage Magritte, de Lilo Canta, 1991
Tous droits réservés Casterman

   Si cette pipe, « Ceci » comme dirait Magritte, ressemble d’évidence à une pipe, elle n’est pas réellement une pipe… juste une représentation picturale hyperréaliste !
    Aux questionnements et critiques suscitées par Ceci n’est pas une pipe (tableau datant de 1929, dont le titre original est La Trahison des images), Magritte répondait : « Pouvez-vous la bourrer ma pipe ? Non, n’est-ce pas, elle n’est qu’une représentation. Donc, si j’avais écrit sous mon tableau “Ceci est une pipe”, j’aurai menti. »
    Et pourtant Magritte a « menti »… Enfin si l’on suit l'analyse du sémiologue Martin Lefebvre. Car, la pipe dont parle Magritte ne renverrait pas exactement à celle qu’il a impeccablement reproduite… Mais plutôt à l’expression Canadienne, utilisée d'ailleurs aussi dans le milieu rugbystique hexagonal (mais pas que) : « Conter ou raconter des pipes » ! Soit raconter des histoires, des choses fausses, des fadaises, dans l’intention de tromper ou de leurrer [8].
    Dans l’ancien français, un des premiers sens donné à pipe était d'ailleurs tromperie. Un pipelard était un hypocrite. Ce pipe a ensuite donné pipon ou pipeur (tricheur), piperie (tromperie), pipeloter (enjoliver)… [9] Par ailleurs, au XIIIème siècle, une pipe (ou un pipet, puis un pipeau) était une petite flûte, un appeau servant à attirer les oiseaux en imitant le chant de leurs congénères. Les chasseurs pipaient pour tromper les bécasses, les grives et autres gibiers volants. Un objet pipé en vint à désigner un objet truqué dans le but de tromper, d’arnaquer, d’où l’expression « piper les dès » !
    Pour conclure, en se référant au sens ancien de pipe (tromperie), l’affirmation de Magritte « Ceci n’est pas une pipe » peut se traduire par « Ceci n’est pas une tromperie », donc l’objet représenté est bien une pipe !

    Ceci dit, nos deux représentants sont-ils bien des badistes… Oui. Nécessairement oui, puisqu’une raquette et un volant sont là pour nous indiquer leur centre d’intérêt !

 

NOTES :
[1] On trouve sur Internet une lunetterie vendant des lunettes rondes pour enfants de type Oversize avec le hashtag #lunettesdepitre…
[2] Formule de Maurice Godelier, La Production des Grands Hommes, Paris, Fayard,1982.
[3] Cf. Frédéric Baillette et Philippe Liotard, Sport et virilisme, Montpellier, Éditions Quasimodo & Fils, 1999. Consultable ICI.
[4] Voir de Anne Saouter, « L’espace homosexué du rugby : le masculin en questions », Cahiers du Genre, n° 29 (« Variations sur le corps »), Paris, L’Harmattan, pp. 83-100. Téléchargeable au format pdf ICI.
[5] Cf. Georges Lapassade, L’Entrée dans la vie. Essai sur l’inachèvement de l’homme, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963.
[6] Une expression qui remonte à la Guerre de 100 ans (1337-1453), durant laquelle (le 14 juin 1429) Charles VII, roi de France avant battu à plate couture les Anglais à Patay, pas loin d’Orléans. Il leur avait alors mis la Patay…
[7] « Certains fumeurs de pipe sont des baroudeurs endurcis, des vétérans, qui tirent de leur longue expérience la confiance en eux nécessaire pour être digne de fumer la pipe, ce qu'ils ne manquent pas de faire avec ce style si particulier qui leur est propre : une allure posée, le buste droit et une jambe légèrement en avant, en regardant le soleil se coucher dans les flots tranquilles d'une mer apaisée » Voir ICI.
[8] Cf. Martin Lefebvre, « “Ceci n’est pas une pipe(rie)“ : bref propos sur la sémiotique et l’art de Magritte ». Consultable ICI.
[9] Cf. Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes, Tome sixième (« Parsomer – Remembrance »), 1889. Disponible sur Gallica (site de la BnF). Téléchargeable ICI.

 

Et en bonus, deux autres affiches de Sébastien Roger
 

ASSJ Bad - Saint-Junien (87) - 2018 - © Sébastien Roger
 

ASSJ Bad - Saint-Junien (87) - 2020 - © Sébastien Roger

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