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Un amour de volant :

    Au sortir de sa boîte, le volant est trop mini, so cute, comme disent les english ou encore Kawaï, en version asiatique ! 
    Certes, cette mignonnerie est fragile et, parfois, très éphémère. Le délicat peut instantanément prendre un sacré coup de vieux et perdre définitivement toute sa superbe. Amputé de quelques brindilles ou violemment déchiqueté, l'amoché voit son pouvoir de séduction se flétrir ou être, brutalement et irrémédiablement, réduit à néant. Direction la déchèterie, ou, avec un peu de bol, un circuit de recyclage... (comme Compo'Plume ou Ramasse ton volant)

 

USCD - Dijon (21) - 2013 - © Nadia Lonjarret

« Mais le seul vrai langage au monde est un baiser »
(Alfred de Muset, « Idylle », in Poésies nouvelles, 1850)


    Mais, lorsqu'il affleure du tube, c'est un ravissant bouchon qui pointe sa bougie. Un amour de bouchon, bien rond, tout joufflu, d'un blanc immaculé, presque laiteux. Une petite merveille sphérique qui peux occasionner un emportement passionnel, déclencher un coup de foudre !

Affiche publicitaire
Dernière de couverture de France Illustration
22 février 1947, n° 73
Collection particulière

 

    Les rondeurs épanouies (joues pleines, crânes reluisants), les formes lisses et dodues suscitent désirs et élans emplis d'affection (l'anguleux, l'affûté, l'abrupt enclinent moins aux câlins et aux frottis-frottas langoureux). Les mères n'embrassent-elles avec ferveur le « joufflu » de leur adorable têtard (une fois bien lustré et avant d'abondamment talquer) !

    Outre sa bonne bouille, le bonhomme possède un corps délicieusement soyeux. Une élégance duveteuse qui incite au lissage, invite à la caresse, à l'attendrissement et aux bisous, voire, comme ici, au Baiser passionné !

    Un contact appuyé, débordant d'enthousiasme, une impulsion gourmande, qui, en ces temps de crise sanitaire contraignant à une mise à distance prophylactique de l'Autre n'est pas très protocolaire ! L'avarice en communications tactiles, en papouilles, est désormais de mise (seule la virilité du poing ou du coude saillant est prescrite). Taper la bise, même furtivement, à la sauvette, et a fortiori embrasser sans retenue, est mal vu et fortement déconseillé, surtout s'il s'agit d'un ou d'une parfait.e inconnu.e...
    Aussi, déposer ses lèvres sur le crâne d'un volant n'est actuellement « pas très COVID », ce qui n'était pas le cas en 2013, lorsque Nadia Lonjarret a conçu cette affiche pour promouvoir un Tournoi de la Jupe, organisé par l'USCD.


Branding passionnel  :

    Ce baiser volontairement incrusté, avec des lèvres charnues, puissamment et presque outrageusement maquillées, n'est pas sans rappeler ceux que les amantes déposaient, de leurs lèvres de rouge enfiévrées, au bas de leurs lettres d'amour, ou qu'elles apposaient à la manière d'un sceau au dos de l'enveloppe, scellant ainsi leur passion.

 

Affiche publicitaire, René Gruau, 1949
 
 

    Baiser sanguin, imbibé d'un rouge criard, il a été plaqué avec fougue, d'une bouche pulpeuse, quasiment torride, bien décidée à laisser son empreinte, à déposer une trace indélébile, de tous reconnaissable. C'est à la fois une appropriation (« tu es ma chose, mon volant préféré, mon héros ») et une déclaration d'amour revendiquée, clamée avec force. La manifestation, le témoignage, d'une passion débordante, immodérée, presque abusive et exclusive.
    Marque d'une obsession, d'une ardente idolâtrie ? Ne baise-t-on pas avec ferveur ce qui est sacré ? Pour rendre hommage, faire alliance... montrer l'intensité et l'étendue de sa dévotion, et s'attirer quelques grâces divines ?

    N'y a-t-il pas également dans cette coloration carmin d'un corps blafard, la volonté d'insuffler la vie, d'animer. De donner quelques couleurs à ce palot, à cet exsangue, en le fardant outrancièrement, pour l'intégrer au monde des vivants, le faire sortir ce sa spectrale pâleur, de son éternelle lividité...
    Le baiser a toujours été investi de pouvoirs surnaturels, maléfiques et funestes (baiser empoisonné de la sorcière aigrie), ou, plus dynamisant, pouvoirs féériques et libérateurs, jusqu'à la résurrection. C'est le baiser magique, miraculeux, qui défait les sortilèges et métamorphose instantanément la grenouille (le pustuleux crapaud, ou tout autre animal a priori repoussant) en Prince Charmant. C'est le baiser qui redonne vie à la Belle au bois dormant (bien qu'aujourd'hui, cela ne paraisse plus réalisable, faute du consentement explicite de l'intéressée... certain.e.s voyant désormais dans ce baiser volé une agression sexuée... Qu'un Prince de conte de fée, d'amour transis, embrasse une princesse endormie, qu'il en profite à son insu, sans son consentement, même si c'est pour l'extraire d'un coma léthargique, suscite l'ire de féministes dénonçant l'acte d'un prédateur sexuel, abusant de la Belle « plongée dans un sommeil pur, innocent et virginal ». [1]

    Il est vrai qu'un baiser d'amour, déposé par l'être aimé, revigore, donne des ailes (et apaise les inquiétudes). C'est un gage porteur d'un souffle vital !

    Mais ce Rouge Baiser, « onctueux, lumineux, indélébile » [2], déposé d'une bouche glossyassociant fini satiné, texture brillante et couleurs vibrantes », selon une pub Séphora) est d'évidence plus qu'un simple baiser. Il ne s'agit pas d'un petit bécot, expédié à la va-vite, du bout des lèvres, mais d'un baiser au vermillon prononcé, volontairement incrusté. Un baiser éclatant, incandescent, presque vampirique, à la limite de la morsure tant il semble appuyé... Signe d'une sensualité sauvage, d'un désir ardent, éminemment charnel.

    C'est un Smack torride, celui d'une amante qui incruste sa marque à l'incandescence de son désir, à la manière d'un branding (ces « tatouages » réalisés au fer chaud). Rien a voir avec timide ou pingre effleurement, c'est un baiser exalté déposé sur un objet chéri, adulé, idolâtré, qui est ainsi humanisé par cette tempétueuse embrassade, celle donnée au combattant, à l'amant, partant pour le champ d'honneur. Baiser du condamné, dernière et unique étreinte ?

I love badminton !

    L'effrontée, l'audacieuse, qui a appliqué ce baiser enfiévré, laissant sciemment son empreinte sur ce capuchon, n'est pas seulement une amoureuse de volants, elle n'est nullement atteinte d'objectophilia [3], mais est d'évidence une passionnée, une « folle », de badminton. Car au travers de cette marque d'affection débordante, amplifiée, c'est une déclaration d'amour au bad qui est faîte. Embrasser ce bouchon à lèvres déployées, c'est affirmer et montrer, en recourant à une synecdoque graphique, tout l'amour porté au Badminton, la partie valant pour le tout !

    Ici, un baiser, un vrai de vrai, se révèle bien plus parlant que mille mots d'amour !

    Difficile toutefois de passer sous silence la composante altière et phallique de ce volant, comme placé sur un piédestal, dressé tel un obélisque. N'oublions pas que « le fard des lèvres [...] servait dans l'Antiquité à indiquer la spécialisation buccale des prostituées qui en usaient outrageusement ». [4] Peut-être est-ce d'ailleurs pour cette raison, et gommer cette charge érotique, qu'aucune lèvre ne figure sur l'affiche finalement retenue pour annoncer ce Tournoi de la jupe. Un tournoi habituellement réservé aux Dames qui, cette année-là, introduisait une nouveauté : du Mixte !

 
USCD - Dijon (21) - 2013 - © Nadia Lonjarret

 

NOTES:
[1]
Benoît Rayski,
« La belle au bois dormant est un "conte sexiste" : supprimé dans certaines écoles ! », publié sur le site atlantico.fr
[2] Le Rouge Baiser a été inventé dans les années 1920 par le chimiste français Paul Baudecroux. Les publicités de l'époque le présentait comme
« onctueux, lumineux , indélébile »« De renommée mondiale [il] permettait le baiser » !
[3] Cléopâtre qui « colorait violemment les siennes [...] était surnommée en grec Mériochane, "la bouche qui avale" ». (cf. Alain Montandon, pp. 83-84)
[4] Objectophilia : forme d'attraction sexuelle ou romantique sur des objets inanimés particuliers...

 Bibliographie :
- Arribas Alexandre, Petite histoire du baiser, Paris, Éditions Nicolas Philippe, 2003.
- Bloch Jeanne, « Le héros animal dans les contes de fées de Mme d'Aulnoy. Le Prince Marcassin, Serpentin Vert, La Chatte  blanche, La Biche au bois », Dix-Huitième Siècle, n° 42, 2010 (1), pp. 119-138.
- Montandon Alain, Le Baiser. Le corps au bord des lèvres, Paris, Éditions Autrement, Collection « Le corps plus que jamais », 2005.

Galerie des affiches réalisées par Nadia Lonjarret, pour l'USCB-21 :

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