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    Une création incandescente, à l’originalité flamboyante, réalisée en 2017 par Fabien Pichot, pour un tournoi chaleureux, traditionnellement organisé début juin. L’occasion pour nombre de participants de commencer à goûter aux joies du camping (sauvage), en plantant leur tente sous les cèdres, alentour du gymnase ! Un des derniers tournois de la saison avant les « grandes vacances », « d'où l'ambiance estivale voire "solaire" de cette affiche pour donner un peu de résonance à ce moment souvent très ensoleillé » (dixit son auteur), et peut-être même muy caliente !
 

LMB - Le Mans (72) - 2017 - © Fabien Pichot

 

    Tournoi annonçant donc l’arrivée imminente des congés, du farniente et de rôtissages balnéaires (bien mérités) ! Une évasion (préparée) loin de la grisaille d’un quotidien radotant, en partance vers de nouveaux rivages, espérés baignés de soleil, croustillants de bonheur et de plaisirs tropicalisés, voire torrides. Les débris de plumes qui prennent leur envol n’invitent-ils pas au grand décollage, à l’échappée belle, à l’escapade, vers des espaces empreints de libertés, pour se refaire une santé, reconstituer son plumage, le dorer à souhait ! Invitation à s’échapper incognito, direction « beau temps », à l’abri derrière un solide paire de lunettes aux verres merveilleusement protecteurs ! Anonymat vacancier (presque) garanti, déambulations clandestines, lézardages peinards, à l’abri des (éventuels) paparazzis, tout en étant paré à affronter les ardeurs de l’astre caniculaire, prêt à se jouer de ses aveuglements crispants !

 

« Joyeuse girl sexy se détendant sur la plage après un match de badminton »

 

Digressions lunatiques d’un lynétaphile occasionnel

    L’efficacité des verres solaires réside dans leur capacité à contrer les luminosités intempestives, à réduire drastiquement les éclats excessifs, en tempérant leurs agressives et exubérantes ardeurs. Elles combattent les éblouissements blessants, parent leur brutalité en les atténuant ou les annihilant. Leur job : bloquer la virulence et la traîtrise des réverbérations, assombrir, obscurcir, afin d’y voir « clair », surtout à contre-jour, manière d’affronter et de contrer les aveuglements accidentogènes, ces scélératesses du soleil rasant ! [1]

    De qualité optimale, les lunettes de soleil permettent de ré-ouvrir grand les yeux, de regarder « l’océan droit dans les yeux » [2], sans devoir les cligner ou les plisser pour tenter d’y voir péniblement quelque chose, et de profiter désormais pleinement du panorama, de la vue qui s’offre, en mode détendu. C’est une reprise de pouvoir visuel sur le « réel » qui est attendue et promise. Un réel, sinon, partiellement amputé, rendu indiscernable, voire invisibilisé, par une surbrillance irritante, par un trop plein de lumière intrusive, ou par l’incandescence d’une déflagration ravageuse !

    Tamiser, atténuer, pour ne pas en prendre plein les mirettes et « mieux y voir », pour ne plus entrevoir le spectacle par intermittence (entre deux clignements), mais l’appréhender sans discontinuer et en profiter pleinement. Selon le Docteur Pansier (auteur d’une Histoire des lunettes, 1901), les premiers verres teintés, protégeant des outrecuidances du soleil, dateraient de l’empereur Néron qui regardait les jeux du cirque (en l’occurrence les combats de gladiateurs) au travers d’une pierre d’émeraude, à la « tendre couleur verte » adoucissante… [3]

    Toutefois, les verres solaires, en abaissant la quantité de luminosité, en filtrant les rayonnements indésirables, en accentuant les contrastes, dénaturent de fait la perception de la « réalité ». Ils l’édulcorent, l’amoindrissent, la corrompent, avec pour finalité de l’embellir, l’enjoliver, la bonifier. Pour améliorer la perception, la lecture de la scène, ils la pigmentent, opèrent une bascule de la chromie, la retouchent, pour rendre le réel moins insipide ou pâlichon. Ils enthousiasment l'existant, au risque de le transfigurer, voire de le défigurer et de n'en donner qu'une contrefaçon, une vision truquée, d'emblée photoshopée.

    En 1749, Thomin Marc Mitouflet, ingénieur en Optique, auteur d'un Traité d'optique méchanique, consacrait quelques pages aux Verres de couleur que des oculistes conseillaient aux « vûes déjà affaiblies [...] blessées par la trop grande vivacité de la lumière que transmettent les verres blancs ».  Pour sa part, il mettait en garde contre tout autre usage de ces verres qui « font aisément contracter l'habitude de voir les objets différents de ce qu'ils sont, & d'une autre manière qu'on ne les voit ordinairement ; en sorte que si l'on vient ensuite à les quitter pour prendre des verres blancs, on a de la peine à s'accoûtumer à ceux-ci, par l'opinion dont on étoit prévenu en faveur des premiers ». En altérant le coloris « de la surface des objets », les verres de couleur causeraient « quelque illusion », trompant sur la marchandise. En cas d'impossibilité de s'en passer, seules trois couleurs s'avèrent pour M. Thomin « favorables & avantageuses à la vûe ; sçavoir, le verd céladon [...] ; le bleu clair ; & quelquefois le jaune ». Encore faut-il que ces teintes soient légères et que le verre soit de la matière la plus pure. Sans cela, « le brun de leur teinte [...] forme un double nuage qui nous dérobe une grande partie des rayons lumineux, & qui altère quelquefois les réfractions, jusqu'au point de forcer les organes à prendre des formes vicieuses, pour se rendre les objets sensibles ». Aussi faut-il « proscrire sans exception tant de mauvais verres [...] que sont les verres de couleur verd de pré, verd de mer, gros bleu, jaune foncé, violet, pourpre, rose, &c » ! [4]

 



    Alors que les verres fumés [5] ternissent les couleurs, les grisent, et donc, d’une certaine manière, attristent la « réalité », les verres teintés lui redonneraient du peps, la revitaliseraient, tout en lui ôtant un clinquant trompeur. En intercalant une dominante, ils couvrent la scène d’un voile coloré. Ils agissent à la manière des filtres photos qui permettent de maîtriser caprices et perfidies de Dame nature, en compensant les limites et impuissances de l’œil (humain) à les neutraliser.

    Les lunettes cherchent à pallier l'incapacité du système oculaire à encaisser les brusques écarts de clartés. Aujourd’hui, l’ambition des verres photochroniques, une technologie dite « révolutionnaire », est de « s’adapter automatiquement aux changements de luminosités ». De passer instantanément de l’ « extra foncé à l’extérieur » (en plein soleil) au « complètement clair à l’intérieur » ! Des lunettes annoncées donc comme « intelligentes », permettant à son porteur de conserver le même verre dans toutes les situations [6].

    En se colorant, les verres peuvent travestir les couleurs, les métamorphoser, les sublimer, afin de satisfaire goûts, envies ou lubies esthétiques, bleuissant, jaunissant, rosissant (si vous optez pour le fuschia, plus adapté aux boîtes de nuit !), la chose vue ou admirée, la faisant même virer à l’orange. Un enrichissement parfois enrobé de la promesse d’agir sur le moral, en redonnant des couleurs à un environnement tristounet ! (la marque Seiko propose ainsi plus de 240 teintes à adapter « à vos besoins visuels » : « vert menthe », « jaune citron », « orange sorbet »…)

    Seuls les polarisants, le haut de gamme de l’ingénierie lunetière exigeante, qui bloquent la « vibration horizontale » des rayons lumineux, à l’origine des reflets gênants (et ne laissent passer que la « vibration verticale » : la lumière dite « utile »), permettraient de rendre le réel plus net et donc plus réel que le réel lui-même, de restituer ses couleurs « naturelles » au naturel, en les ravivant. C’est une nature débarrassée de reflets qualifiés de « parasites » ou encore de « nuisibles » qui est redonnée à voir. Un réel nettoyé des reflets qui, en photographie, « polluent la prise de vue », et empêchent les passionnés de la « pêche à vue » de localiser leurs futures prises : en supprimant les reflets sur l’eau, les polarisants « rendent les poissons beaucoup plus visibles »…

    Le réel est revu et corrigé des « erreurs » de la nature, de ses aberrations et crudités. C’est un réel, en quelque sorte, rendu à sa (divine) perfection !
 

Les lunettes comme « masque d’invisibilité »

    Outre leur détermination affichée à contrer les « étincelances » importunes, les lunettes solaires fonctionnent aussi comme « accessoire de mise en scène de soi » [6]. En équipant le nez, le banal objet optique habille les visages, les déguise, et finit par faire corps avec celui qui ne se départit pas de cette garniture. D’accessoire porté, les lunettes sont devenues un « objet incorporé ». Les solaires, « la marque distinctive des stars », sont un attribut incontournable du look estival (et hivernal). Chez certains elles constituent un ornement essentiel de leur panoplie, de leur dressing code, de leur lifestyle et un marqueur d’identité ! On n’imagine pas Polnareff sans ses lunettes blanches à monture rectangulaire (qui cachaient une hyper myopie et une sensibilité extrême à la lumière). Les deux sont indissociables. Opéré en urgence d’une cataracte, début 1990, l’artiste confiait à la presse ne plus les porter dans la vie de tous les jours, mais ne pouvait abandonner face au public ce qui le faisait « exister à leurs yeux ». Sans ses lunettes, Polnareff est-il encore reconnaissable ? Ce qui est certain c’est qu’à lui seul cet ornement nasal le figure, l’incarne, lui donne chair, tout en substituant pourtant aux regards une part de son visage et de sa personne.

   Car, si les lunettes assombrissantes protègent des sunlights, des flashs et de l’hostilité des projecteurs, elles permettent également, aux night-clubbers invétérés, de dissimuler cernes et bouffissures matinales, aux vieillissants de couvrir les flétrissures de l'âge (pattes d’oies, poches disgracieuses, paupières avachies) et aux fumeurs de cannabis de camoufler leurs « yeux rouges » !

    En dissimulant, en occultant, le regard, les sun glasses fonctionnent comme une barrière protectrice. Elles instaurent une séparation, préservent une intimité, autorisent une claustration volontaire, une mise à l’écart recherchée. À la manière des vitres teintées (interdites en 2017 par le Code de la route à l’avant des véhicules, dès lors que leur taux de transparence est inférieur à 70% - mais autorisées à l’arrière), elles permettent de dissimuler son regard, de préserver ses centres d’intérêt, donc de voir sans être (totalement) vu. Elles permettent de scruter les alentours discrétos, d’épier, de zieuter ou de lorgner en douce, d’effectuer une surveillance incognito, en sous-marin (comme disent les pandores en planque).

Karl Lagerfeld
    « Je ne sors jamais sans mes fameuses lunettes noires. J’aime voir, pas être observé. » (Karl Lagerfeld)

    Les lunettes sombres fonctionnent comme une « cape d’invisibilité » et s’offrent comme une solution, un déguisement, un masque, pour tenter de passer inaperçu et fuir une notoriété encombrante. Le porteur de lunettes noires, empiétant largement sur le haut du visage, dissimule une part de lui-même. Il escamote la frange la plus causante de son visage : ses yeux, ce « miroir de l’âme », portail des émotions et potentiel vecteur de trahisons. Totalement opaques, les lunettes permettent de s’isoler, de disparaître, de se planquer, de faire semblant de dormir (tout en restant sur le qui-vive) ou de fermer les yeux, sans rien en laisser paraître, et sommeiller en toute impunité.

    Leur opacité permet d’échapper aux regards inquisiteurs d’un entourage à l'affut, et, pour celui qui les porte, d’assombrir la réalité jusqu’à la réduire à un jeu d’ombres. Donc, d’une certaine manière, de lui permettre de fuir le réel, d’y échapper ou, tout au moins, de rendre sa consistance, sa dureté, moins prégnantes, moins intrusives, en se plongeant et évoluant dans un monde de demi-obscurités, voire de ténèbres réconfortantes.

    Mais, lunettes et masques solaires sont aussi un écran de projection, un miroir dans lequel se reflète un « réel » souvent décoloré, ombré, souvent déformé (par la convexité des verres). Dans l’affiche du LMB, se dessine ainsi, en silhouettes, le spectacle sportif regardé : les ombres chinoises de deux badistes saisis en pleine action. Soit, une séquence de double mixte où un impétueux garçon se détend, jumpe quasiment hors du cadre, pour smasher puissamment sur « La fille », en position défensive ! Tactique sempiternellement rabâchée qui conforte le mâle dans son statut de dominant, cantonnant la fille au statut de « point faible »… à cibler !

Notes :
[1]
En mars et en octobre, lorsque l’heure du lever de soleil coïncide avec « l’heure de pointe » est constatée une recrudescence des accidents de la route.
[2] Cf.
« Un avant-goût d'été avec les lunettes solaires IC ! Berlin ». Voir Ici.
[3] P. Pansier (Docteur), Histoire des lunettes, Paris, A. Maloine Éditeur, 1901. Disponible sur Gallica-BnF, Ici.

[4] Thomin, Marc Mitouflet, Traité d'optique méchanique [...], Paris, Jean-Baptiste Coignard et Antoine Boudet, 1749, pp. 294-296. E-book téléchargeable (gratuitement) en cliquant Ici.
[5] « Dès les temps les plus reculés » (mais jusqu’au faut-il rembobiner ?), les Chinois utilisaient du « quartz fumeux […] pour affronter l’éclat du soleil. Ils l’appelaient “pierre à thé” en raison de sa couleur, comparable à celle d’une faible infusion de thé noir. » Cf. Docteur Jean-Paul Joly,
« Petite histoire des lunettes », in Revue des Deux Mondes, avril 1954. Disponible en ligne en cliquant Ici.
[6] Voir, par exemple, le site des lunettes
« Transitions », en cliquant Ici.
[7] Cf. Nicolas Veyrat, Éric Blanco, Pascale Trompette, « L’objet incorporé et la logique des situations. Les lunettes au fil de l’histoire et au gré des usages », in Revue d’Anthropologie des Connaissances, 2007/1, vol. 1, n° 1, p. 77. Disponible en ligne Ici.

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