#23 : StreetBad à la manière de Keith Haring
Tout le monde (ou presque) à un jour croisé les personnages sans visages et toujours en mouvement de Keith Allen Haring, tant ce « pape du street art et du graffiti » était prolifique et ses motifs iconiques repris sur nombre d’objets de la consommation courante.
Mais peu de badistes connaissent l'envergure et la richesse de l'œuvre de ce Bad Painting ! Ce qui n’a bien sûr rien à voir avec notre jeu de volant préféré mais est « un style de peinture né à la fin des années 1970, sous l’influence du street art. […] D’apparence volontairement bâclée, cet art s’oppose à l’art conceptuel et “bourgeois” montré dans la plupart des galeries. » [1]
LMB (Le Mans Badminton) - 2019 - © Fabien Pichot
J’étais l’un de ces ignorants… Je remercie donc Fabien Pichot (auteur de cette superbe affiche) de m’avoir permis de mettre un nom sur des images emplies de bonhommes, de chiens, d’hommes-volants, de martiennes soucoupes, et autres visuels stylisés, sur lesquels j’avais rapidement accroché, sans y prêter une réelle attention.
Pourtant, l’artiste, dont les « graffitis illustrés » occupent nombre de supports, militait activement pour mettre l’art à la portée de tous, en évitant de l’enfermer dans des musées élitistes [2].
Il réalisera des œuvres extérieures monumentales, all-over (de partout), où « la surface est intégralement envahie, saturée de dessins enchevêtrés » [3].
Des créations quasiment toutes Untiled (sans titre), afin de laisser chacun imaginer « le sien en fonction de ce qu’il ressent » [4].
Keith Haring avait mis sa « fureur de dessiner » au service des luttes militantes, contre le racisme, l’apartheid, la guerre, le nucléaire, les abus de la religion et ses intolérances, le capitalisme, la société de consommation, l’homophobie, les drogues dures (les ravages du crack notamment)...
Et même si son art était un « art engagé », un art de combat et de contestation, délivrant des messages politiques forts, et même si certaines créations, parfois apocalyptiques, comme celles dénonçant l’inaction gouvernementale face à l’épidémie du Sida [5], peuvent choquer par leur crudité, quels que soient les sujets abordés, son œuvre reste « incroyablement joyeuse et gaie, pleine de vie et d’espoir » [6].
Bien que décédé prématurément, à 31 ans du sida, il a produit des milliers d’œuvres, de la fresque monumentale [7] à la plus petite, que ce soit sur un mur de 100 m2 comme sur des bibelots, plusieurs de ses personnages vivent, peut-être, sur vos frigos sous forme de magnets !
Après avoir débuté en écumant le métro new-yorkais, y réalisant quelques 5000 à 10000 subway drawings (littéralement « dessins de métro »), il peindra sur des bâches plastifiées, puis sur tous supports (refusant toutefois la toile, trop connotée) : murs, meubles, tee-shirts, baskets, jouets, corps nus (celui de la chanteuse Grace Jones, icône de la pop américaine), carrosserie d’une BMW (une commande de la marque), vases, poubelles, paquets de cigarettes (Lucky Strike), bouteilles de vodka (Absolut), manèges, cheminées d’usines… et sex-toys !
Il existe ainsi une gamme de « masturbateurs » (de la marque japonais Tenga), vendus en série limitée : le Masturbateur Keith Haring Soft Tube Cup, décorés de dessins de la « figure emblématique de la mouvance Pop Art », dixit l’annonce [8] . Un des produits créés en collaboration avec la fondation Keith Haring, avec la volonté de faire en sorte que le monde souhaité par Keith Haring existe, un monde où de sexualité épanouie. « Be positive, be smart, be free. Pleasure, the way it should be », telle est la devise de Tenga qui met en exergue cette citation de l'artiste : « La sexualité ne devrait pas être source de honte ou de gêne. Une pratique saine est n moyen sûr d'enrichir sa vie. Si seulement tout le monde pouvait jouir de sa sexualité librement et sans danger ! »
Keih Haring qui ne reniait en rien son homosexualité, prônait, à l’instar des mouvements gay américains (puis européennes), le Safer Sex, la construction d’une sexualité responsable et préventive, plus « souple », explorant « de nouvelles orientations du plaisir sexuel » [9]. Une sexualité moins contaminante, mais restant ludique et joyeuse. Comme note le journaliste Frédéric Joignot, traversé par un « appétit de vivre, une énergie joyeuse […], il continuait de défendre les joies du sexe et la vitalité du désir. “L’énergie sexuelle, affirmera-t-il, est peut-être l’impulsion la plus forte que j’ai jamais ressentie – plus que l’art ? (!).” [10]
Le trait de Keith Haring est immédiatement identifiable : « un dessin épuré où la ligne devient seule figuration et résume l’objet représenté » [11]. Un tracé net, une ligne continue (n'est-il pas considéré comme le « roi de la ligne ininterrompue » !), noire et appuyée – blanche à ses débuts lorsque, « graffeur hors-la-loi », il dessinait à la craie, sur des supports noirs du métro, des personnages et des saynètes instantanément lisibles.
Un simple contour pour donner forme et consistance, tracé à la craie pour dessiner sans interruption, d’une traite, « idéal pour travailler vite et ne pas se faire arrêter par la police » pour vandalisme et dégradation (ce qui fut malgré tous le cas).
Le style « simple et limpide », de ce « génie de la ligne », est rapidement lisible des usagers pressés qui pouvaient les saisir d’un coup d’œil sans nécessairement s’arrêter.
Cela restera sa « marque de fabrique », sa griffe ! Un style expressif, qui emprunte aux codes de la bande dessinée underground, pour faire « parler » ses images et leur donner vie.
Il en est ainsi, des petits traits noirs qui, entourant personnages, objets ou symboles, les animent, les électrisent et matérialisent « l’énergie qu’ils dégagent », donnant l’impression qu’ils vibrent ou rayonnent.
À l’instar de son Radiant baby (ou « bébé rayonnant » - créé en 1980) : un bébé dodu, aux rondeurs angélique, à quatre pattes et auréolé de petits traits, « symbole de pureté et d’innocence », « du futur et de la perfection ». Un motif devenu signature et logo de l’artiste. L’un de ses idéogrammes fétiches, aussi récurrent que le « chien aboyeur » à la gueule grande ouverte, éructant, entourée de petits traits indiquant une férocité, le risque d’une morsure. Un chien-loup agressif, symbolise d'un État policier dont il dénonçait la violence. (bien que le « même » chien, toujours jappant, puisse donner voix à des colères contestatrices, leur servir de haut-parleur).
Keith Haring, Ignorance Fear, 1989, © Collection Noirmontartproduction, Paris
(chez Keith Haring les petits croix incrustées dans les personnages symbolisent la mort)
Des formes synthétiques, sortes de hiéroglyphes et d’idéogrammes, des farandoles de silhouettes qui se répètent, se dupliquent, pour constituer une ribambelle, faire foule ou amas.
Des figures mises en valeur par des couleurs vives, éclairantes, flashy (comme celles utilisées dans le pop art par Andy Warhol), des aplats impeccables (rouges, jaunes, bleus, verts), sans dégradés, des réalisations qui séduisent et « nous attirent dans ses filets » [12]
Fabien Pinchot, Street Badiste, à la manière de…
Tout comme Keith Haring, Fabien Pinchot nous attire dans ses filets (de bad, of course) avec cette affiche réalisée pour son club de cœur, le LMB, un club qui, un temps en errance, découvrait en ce mois de mai 2019 une nouvelle salle où poser ses raquettes. Un club un temps SSF (Sans Salle Fixe), comme précise avec humour son auteur. D’où le recours à l’œuvre de Keith Haring, « pour exprimer cet état d'esprit, [à partir] d'une thématique graphique urbaine, orientée street art, tout en apportant un rendu visuel à la fois positif et ludique ».
Résultat, une composition, en apparence enfantine et spontanée, très équilibrée et brillamment composée de deux badistes stylisés, réduits à leur plus simple expression, mais immédiatement identifiables. Deux figurines dupliquées, se faisant face comme dans un miroir, qu’auraient très certainement apprécié Keith Haring, lui qui aimait partager son art.
Une figure « facile » qui vient enrichir le « langage visuel graphique », « l’alphabet de mots-images » d’un des maîtres du Street Art, le cultissime et « Révolution’Art » Keiht Haring !
NOTES :
[1] Éloi Rousseau, « ABCD’art », in Dada. La première revue d’art, n°182 (« Keith Haring »), avril 2013, Éditions Arola, p. 32.
[2] Keith Haring : « Le public a droit à l’art. Le public a été ignoré par la plupart des artistes contemporains. Le public a besoin d’art, et il est de la responsabilité de ‘l’artiste autoproclamé’ de comprendre que le public a besoin d’art, et de ne pas faire de l’art bourgeois pour quelques-uns seulement, tout en ignorant la masse. L’art est pour tous. »
[3] « Bienvenue sur la planète Haring », in Dada, op. cit., p. 11.
[4] Éloi Rousseau, op.cit., p. 33.
[5] Un engagement souvent sciemment oublié ainsi que la mention de sa séropositivité. En 1989, avec l’argent récolté des ventes de ses œuvres par des collectionneurs, il a créé la Keith Haring Foudation, une fondation caritative, pour, notamment, soutenir les organisations luttant contre le sida. Cf. « Keith Haring, Fignt Aids » , Histoire de l’Art, 20 juin 2019. À lire ICI.
[6] Sandrine Andrews, « Haring XXL », in Dada, op. cit., p. 31.
[7] En 1989, sur invitation de la vile de Pise, il réalise une fresque de 180 m2 (Tuttomondo) sur le mur sud de l’église Saint-Antoine.
[8] « Le futur de la masturbation est arrivé et il vient tout droit du Japon ! ». Pour toute commande cliquer ICI !
[9] Cf. Nicolas Dodier, « Les premières années de l’épidémie du sida et la conversion politique du mouvement homosexuel », Disponible en ligne ICI.
[10] Frédéric Joignot, « Keith Haring. Conjurer le peur du sida en peignant… », LeMonde.fr, 18 août 2015. À lire ICI.
[11] Keith Haring, Fignt Aids, Histoire de l’Art, 20 juin 2019. Disponible ICI.
[12] Clémence Simon, « Art engagé, art enragé », in Dada, op. cit, p. 14.
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