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    Affiche royale, réalisée en janvier 2019 par Les Petits Tamis Loriolais pour un Tournoi de la Galette.
    Un  couple de monarques trop mignons (so cute comme disent les anglais), deux volants-culbutos auréolés d'une souveraineté argentée. Invitation à venir ferrailler avant de tirer les Rois et de choisir sa Reine, d'un soir ou pour toujours. De quoi attiser la faim des gourmands et des gourmandes, d'allécher les amateurs de frangipane (notre préférée) ou de couronnes briochées, embellies de fruits confis !
   

 

    La Galette est un temps de partage festif et égalitaire : parts égales, chances égales – distribution aléatoire et élection par tirage au sort. Pour une fois le plus fort ne gagnera, peut-être, pas. L'indéboulonnable looser, celui qui ne sort qu'exceptionnellement de poule, pourra espérer prendre sa revanche et connaître enfin un instant de gloire.
    Le tirage de la fève remonte à l'Antiquité Romaine. À l'occasion des Saturnales (un temps de fête où les barrières sociales étaient mises entre-parenthèses) une fève, cachée dans la nourriture (du pain), était utilisée comme « bulletin de vote ».  L’esclave ainsi désigné « roi d’un jour » pouvait exaucer tous ses vœux. La journée terminée, au mieux il revenait à sa servitude ou... était exécuté. Selon d'autres sources, il « pouvait agir en "roi" à sa guise pendant trente jours » puis, une fois ce mois de pleines jouissances terminé, il « devait se couper la gorge sur l'autel du dieu qu'il venait d'incarner » ! [1]

2019 - FBC - Faucigny (74)

    Quelques siècles plus tard, les adeptes du philosophe grec Pythagore penseront que les fèves abritent les âmes des trépassés. Au printemps lorsqu'elles germent et que la plante sort de terre, les âmes peuvent alors quitter ce refuge et se réincarner !
    Selon d'autres commentateurs, les pythagoriciens bannissaient les fèves car elles sont « pleines de vents » (surtout les vertes). Elles font enfler le ventre et causent des flatuosités nocturnes. Des dérangements intestinaux qui troublent les nuits et provoquent de mauvais rêves.
    Selon l'anthropologue Marcel Détienne, les fèves, à l'instar d'autres légumineuses, étant venteuses, elles « participent de la nature de l'âme » (perçue comme un vent, un éther, une exhalaison). Les fèves seraient (fantasmatiquement ou magico-religieusement) « animées » du souffle des âmes des morts qu'elles hébergent. Elles seraient sacrées et taboues, car elles permettrait la transmigration des âmes des ancêtres qu'elles abritent provisoirement  (métempsychose), leur migration « d'un corps mourant dans un autre naissant » [2].

    Pour sa part, Diogène de Laërce (poète grec du début du IIIème siècle) certifiait, citant Aristote, que si Pythagore proscrivait les fèves c'est, notamment, « parce qu'elles ont la forme de testicules »... [74] Leur similitude anatomique avec les organes génitaux masculins, « responsables de l'enfantement », incitait à ne pas les croquer !

    Cette antique répulsion dépassée, la fève repris ses droits (elle prendra même quelques siècles plus tard la forme de l'enfant Jésus). Elle deviendra le Graal d'une quête festive abondamment arrosée. Un moment de convivialité d'une « gaieté bruyante » (comme qualifié au Moyen-Âge) et de libations débridées, où le nouveau Roi devait commencer par payer sa tournée ! Au XIVème siècle est attestée la coutume du Roy boit : l'assistance levait le verre et clamait « Le Roy boit ! » avant de le vider d'un trait. À tour de rôle, chaque convive, suivi par toute la tablée, portait un toast en criant « Le Roy boit ! », et l'on trinquait ainsi jusqu'à plus soif...

 

Jacob Jordaens (1593-1678) : Le Roi boit ! (2ème moitié du XVIIème)
  Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique - Huile sur toile - 156 x 210 cm

 

    La légende prétend que, pour ne rien débourser, les plus avares croquaient discrétos la fève, la vraie bien sûr, la graine séchée ! La version en porcelaine serait ainsi née vers 1875, pour que le « roi » craigne de l’avaler.
    Au-début, il s’agissait de poupées, puis de baigneurs (des poupons nus), puis de bébés emmaillotés, autant de symboles de fécondité. Pour Jamblique (un philosophe du IVème siècle) et, plus proche, de nous selon Eugène Canseliet (un alchimiste), la fève (la graine) aurait la forme d'un embryon, symbole de vie ! La fête célèbre, en effet, le passage au solstice d’été, un renouveau « qui annonce le rallongement des jours et la renaissance de la Lumière […], une période où l’accent est tout particulièrement mis sur le partage et la générosité » (Nadine Crétin).

    Abolissant la Monarchie, la Révolution Française tenta de mettre fin à cette élection rigolarde et bambocharde, en supprimant la fève. Comme le rappelle encore l'historienne des fêtes Nadine Crétin : « Hors de question d’élire un roi ! [Louis XVI, roi-déchu, venait d’y laisser sa tête]. Cependant, pas question de ne pas partager de gâteau non plus. Est donc née la "galette de la liberté" ou de "l’égalité", sans fève ni roi » ! Le 31 décembre 1791, un arrêté pris par la Commune n'avait-il pas changé le jour des rois en « jour des sans-culottes » et remplacé la fève par un bonnet phrygien !

    Pour conclure ce moment de générosité, n'oubliez pas de mettre de côté la « part de la Vierge », ou «  part du pauvre », pour, comme au Moyen-Âge, nourrir l'éventuel déshérité qui viendrait quémander sa part de « Galette du gymnase » (au début du XIXème siècle, le tout Paris courrait à la Galette du Gymnase, une pâtisserie réputée pour produire les meilleures  !).

Notes :
[1] Cf. « La fève entre génération et divination », ICI.
[2] Cf. Mirko D. Grmek, « La légende et la réalité de la nocivité des fèves », History and Philosophy of the Life Sciences, vol. 2, n°1 (1980), respectivement p. 111 et 71.

Bibliographie :
- Mirko D. Grmek, « La légende et la réalité de la nocivité des fèves », History and Philosophy of the Life Sciences, vol. 2, n°1 (1980), pp. 61-121- Consultable ICI.
- Nadine Crétin, Noëls des provinces de France, Le Pérégrinateur, 2013.
- « Une tradition perdue : "le roi boit !" ou "königreichen" lors des festins de la fête des Rois ». Consultable ICI
 

B2A - Annemasse (74) - Soirée Fou du Roi - 2019

 

PTL - Loriol (26) - 2022

 

BALV - Vertou (44) - 2019

 

2018 - BCRG - Rive-de-Gier (42)

 

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