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    Halloween est l’occasion cauchemardée pour programmer une « monstrueuse » soirée ou donner une coloration grand-guignolesque [1] à des tournois transformés en succédanés de « théâtres de l’épouvante et du rire », ces temples de l’horreur qui à la Belle Époque mettaient en scène l’atroce pour en mourir de rire, poussant le « sanguinolent parfois [jusqu’à] l’excès, au point d’atteindre le grotesque » [2]. Une dramaturgie de l’épouvante, une parodie exubérante de l’effroyable, où l’a fausse hémoglobine, du « sang de théâtre » [3], barbouillait vêtements et malles sanglantes, jusqu’au haut-le-cœur (du gore bidonnant, avant l’heure).
    Les Bad’Loween Party, les soirées Bad’Oween ou encore Hallo'win, Bad'llowen et autres Tournois de l'horreursang pour sang bad»), sont annoncées par des créations crépusculaires, nécessairement citrouillées, avec déambulations de sales gueules, de trombines repoussantes. Tout un cortège d’ancestrales hantises évoluant sur fonds de décors gothiques, de cimetières abandonnés et autres manoirs délabrés.

Affiche badminton Halloween

ABC - Châtenois (67) - 2012
 

    Des scènes de guingois, peuplées d’êtres déglingués, enveloppées de brumes, se découpant sur des lunes emphatiques et blafardes, appelant à la lycanthropie. Des clairs de lune propices aux batifolages de loups-garous en mal de gambades. Des atmosphères favorables à l’éclosion et à la prolifération de trépassés, friands de « nuits blanches » et d’excursions bucoliques à la fraîche.
   C’est la parade des vilains-pas-beaux, des têtes de déterrés, c'est la fête aux zombis, aux ghosts, aux spectres, la farandole des squelettos cliquetants ou des momies enrubannées. Défilé, en vrac, des « foutent-la-pétoche », des « flanquent-les-chocottes » et autres « mettent-les-foies ». Sarabande de créatures vampiriques, chevauchées de sorcières échevelées juchées sur leur balai-raquette. Sortie des émules du Prince des ténèbres, du sanguinaire voïvode Vlad Dracul, le cruel comte Transylvanien, surnommé Vlad Tepes (L’Empaleur) [4], « père » de l’incisif Dracula ! 
 

Affiche badminton Halloween

ABC - Châtenois (67) - 2018 - © Ainos Studio

 

    Valses d'affreux-jojos et javas de moribonds requinqués
    C’est le bal des horribles, des affreux Jojos, des hideux, des sinistres, des rebutants, armés de fourches acérées, de doigts crochus, de grandes-faucheuses luisantes. Tout l’attirail de l’embrochement, de l’équarrissage, du déchiquetage artisanal. Une quincaillerie moyenâgeuse à glacer les sangs.
    Carnaval de trognes répulsives, de faciès atroces, tronches tordues, lacérées, amochées, éborgnées, énuclées, de n’a-qu’une-dent.
    Migrations de volants métamorphosés en chauves-souris (en BadMan ?), de volants à « tête d’enfer », grimés en mode rafistolé, avec mâchoires de piranhas.
 

 

Affiche badminton Halloween

 ABC - Châtenois (67) - 2016 - © Thomas Bellicam

 

     Une panoplie de guignols inquiétants (de guign’œil = louche), de bouffons patibulaires, de citrouilles édentées affichant des rictus carnassiers.
    La convocation d’un lugubre grandiloquent, caricatural à l’excès, qui se veut rigolo ! Attention toutefois que le désopilant, le pour-de-rire, le pour-de-faux, ne suscite pas de bien réelles épouvantes, provoquant un saisissement fatal, ou plus simplement jouant un mauvais tour, faisant alors rire jaune… En 2019, une étudiante américaine couverte de faux sang – elle s’était déguisée en Carrie White – a ainsi été crue morte après avoir été victime d’un accident de la route. Il y a des situations où, sur l’instant, se fendre la poire peut tourner à la farce glauque et désastreuse, voire à l’infarctus.


Arthur, le volant justicier
    Les volants, eux, se couvrent de draps blancs, à la manière de revenants revêtus d’un linceul, ce suaire blanc dont on enveloppait le corps du défunt, un habit mortuaire censé protéger le disparu avant grand bond irréversible dans l’au-delà [5]
 

Affiche badminton Halloween

ABC - Châtenois (67) - 2019 - © Ainos Studio

 

    Les fantômes n’ont toutefois pas toujours été accoutrés de la sorte. Au Moyen-âge les spectres, les âmes errantes des défunts, étaient, par convention iconographique, représentées sous les traits de petits personnages nus au teint livide. Dans le théâtre élisabéthain, la blancheur en vint à représenter le revenant, mais comme sur scène la nudité n’était pas (encore) de mise, le linceul (un simple drap blanc), aisé à enfiler par-dessus un autre costume, en vint à symboliser les Nights Walkers, ces « rôdeurs nocturnes » [6].
    Halloween est la nuit où s’émancipent les morts-vivants, où, à la faveur de pleines lunes bouffies et blêmes, les bras cadavériques, décharnés, de macchabées ressuscités, avides d’air frais, émergent de terre pour se saisir de vivants égarés en ces lieux sépulcraux, ou étreindre des taphophiles [7] noctambules (des insomniaques amoureux de sépultures).
    Toutes les bestioles de l’immonde, les grouillantes, les rampantes, les nécrophages, sont convoquées (araignées suspendues, cafards, scolopendres, vipères, asticots).
    Les figures du surnaturel, des messes noires, sont invitées, chats noirs de chez noir, chats-huants hagards, corbacs de malheur !

 


    La nuit des PychoBad (avancer masqués… mais protégés)
    Halloween est « La nuit des Masques », ou plutôt, en cette année 2020, la soirée des doubles masques. Le masque diaboliquement festif – esprit maléfique [8] en mode bouffon – tentant de prendre le dessus sur le damné masque sanitaire qui, pour faire barrière, affuble notre quotidien !
 

Affiche badminton Halloween

ABC - Châtenois (67) - 2020 - - © Ainos Studio


    À moins que certains adorables petits loups, anticipant les refoulements inquiets, ne superposent un « masque barrière » au bleu divin par-dessus la hideuse trombine, rassurant ainsi les plus de 65 ans qui entrebâilleront leurs chaumières… avant de leur soutirer quelques friandises Tagada ! Car Halloween se résume désormais souvent à la sortie, à une heure raisonnable, de bandes de gamins bien éduqués, encadrés par des parents attentifs, surveillant en arrière-fond, des fois que leurs chers apprentis diables ne se fassent kidnapper par un Michael Myers et que la soirée ne se termine en Slasher movie  [9]!

    Les plus prévoyants ont sans doute anticipé en commandant un masque en tissu anti-coronavirus Halloweenisé, un masque « protégeant du virus de façon effrayante », pour « profiter d’une journée mortelle tout en restant protégé » : bouilles de Mister Jack, masques toile d’araignée, mandibules de squelette, masques « Dia de los muertos » et masques garnis de citrouilles, ce dernier pour les enfants « sages » qui pourront ainsi « faire la chasse aux bonbons sans risques ». Il y a aussi un masque de chirurgien sanglant ! Et pour plus « inconscients » existe un « masque Virus », pour, comme l’indique sa présentation, « incarner un vilain virus […] le plus redouté des virus »… d’évidence le SARS-VoV-2 (responsable de l’épidémie de COVID-19).
    Ces masques d’épouvante, dont le masque « Corona », ont d’ailleurs été prestement retiré de ses ventes par Amazone (bien qu’il y ait des astuces pour encore s’en procurer) !
    Car attention à ne pas s’amuser avec les terreurs contemporaines, à tenter de rigoler avec un mal pandémique qui circule et contraint aux couvre-feux et au grands confinements, de plaisanter en donnant un visage à un ennemi invisible source d’inquiétudes et de malheurs (ce sera pour de futurs Halloween, quand la maladie sera enterrée au cimetière des pestes passées).
    Rire avec la mort, se parer du macabre à ses limites…
    S’égayer en arborant une cagoule d’abominable virus, n’est aujourd’hui pas du meilleur dégoût, au risque de participer à l’amplification de peurs collectives ou de commettre un impair en toquant chez une famille que la maladie frappe ou endeuille.
 


   Certaines clowneries peuvent confiner à l’impardonnable impair.
   Car Halloween n’a plus rien des charivaris d’antan, des fêtes populaires où toutes les licences étaient « autorisées », où les inversions des rôles semaient le chaos et affolaient bourgeois et clergé, mettant (temporairement) en péril l’ordre établit.
    Des temps pas si reculés où le grimage permettait de domestiquer et conjurer les « grandes peurs », celles notamment des maladies incompréhensibles, des maladies punitions-divines. Des temps où la grimace, la mascarade, permettaient de donner corps à l’infernal, d’incarner les âmes errantes, et d’exorciser les frayeurs venues d’un au-delà barbarisé [10], peuplé d’« anges de l’enfer », autant de suppôts de Satan, ce maître ès-supplices.

Pour visiter d'autres terrains mal-famés, c'est ICI.

NOTES :
[1] Grand-Guignol, soit un guignol pour les grands, en contraste avec le « Petit Guignol », le théâtre de marionnettes à gaine destiné aux petits. Le guignol pour grands était lui joué par des comédiens en « os et en chair ». Cf. l'ouvrage très documenté et illustré d'Agnès Pierron, Les Nuits Blanches du Grand-guignol, Paris, Seuil, 2002.
[2]
Cf. Pierre Chenivesse, « Grand Guignol et aliénisme », in J. Arveiller (dir.), Psychiatries dans l’histoire, Caen, PUC, 2008, p. 431-438.
[3] Parfois pas si fausse que cela, puisque constituée de sang frais pompé directement aux abattoirs de La Vilette !
[4] Voir de l’historien Juan José Sánchez Arreseigor, « Le vrai Dracula, plus sanguinaire que la légende ».
[5] « Selon la croyance populaire, si l’âme d’un mort remontait à la surface, elle quitterait son corps de chair et d’os mais serait toujours recouverte de son drap mortuaire. » Lire ICI.
Voir aussi de Sharon van den Eerenbeemt-Penant, « Le linceul, accompagner et envelopper une dernière fois les disparus », in Études sur la Mort, n° 151, 2019, pp. 103-108. Disponible sur le site Cairn.info.
Et pour les désireux de creuser ce sujet : Rencontre autour du linceul, numéro spécial du Groupe d’Anthropologie et d’Archéologie Funéraire d’Île de France, 1996.
[6] « Ce costume est complété par un maquillage à base de farine visant à rendre la pâleur du défunt, l’utilisation de la farine pouvant aussi s’étendre aux vêtements et autres éléments de la garde-robe spectrale. » Pierre Kapitaniak, « Le vêtement du fantôme dans le théâtre élisabéthain », in François Lecerce et Françoise Lavocat (sous la direction de), Dramaturgies de l’ombre, Presses Universitaire de Rennes.
[7] Du grec ancien táphos : tombe, sépulture et philie : amour. Attirance pour les cimetières et les tombes !
[8] Aux viiie et ixe siècles, rappellent Claude Lecouteux et Philippe Marcq, on appelle masque les esprits des morts et surtout les revenants, et ce vocable sert à traduire le latin larva » – l’esprit maléfique du mort (Les Esprits et les Morts, Croyances médiévales, Paris, Champion, 1990, p. 29.)
[9] Héros du film d’horreur de John Carpenter, « La nuit des masques ». Un Slasher movie où, lors d’une soirée Halloween, ça entaille grave ! (Slasher, anglicisme de slash : sabrer, entailler)
[10] Sur cette politique médiévale de « barbarisation » des enfers, voir Georges Minois, Histoire des enfers, Paris, Fayard, 1991, notamment le chapitre VI : « L’éclatement de l’enfer barbare », pp. 124-48.

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